jeudi 6 novembre 2014

Constellation


Attirance morbide de saison (difficile d'échapper aux questions de sécurité aérienne en 2014), bienveillance pour le faits-divers de la disparition de Marcel Cerdan porté au rang de tragédie des temps modernes et curiosité moins malsaine (quoique) pour les jeunes auteurs français, j'ai été tenté de lire Constellation, d'Adrien Bosc. Premier roman et tout de suite un prix, mais celui des « 40 papys la tremblotte du Quai Conti » (Desproges), je pouvais déjà espérer que le bouquin présente quelques gages de fraicheur sans prendre trop de liberté avec la langue française.

Sans plus de préjugés l'incipit… ou plutôt non, car avant même d'entrer dans le vif du sujet l'auteur choisi de fourrer des citations à intervalles réguliers. En exergue du bouquin, puis de chaque chapitre. C'est lourd, très lourd. Les citations perdent leur éventuelle saveur originale et traînent comme des feuilles mortes, platitudes collées dans l'herbier du collectionneur opportuniste. Deux citations avant l'incipit :
« La combinaison de quelques mots suffit parfois à orienter notre vie » (Antonio Tabucchi)
puis avant le premier chapitre, Orly,
« Je suis la vrille colossale / Qui perce l'écorce pétrifiée de la nuit. »
Ces derniers vers ont un certain charme mais ils sont totalement écrasés par leur utilisation en paraphrase du drame qu'on va nous raconter. [J'avoue qu'étant étudiant le manque de confiance dans ma prose me poussait aussi à rehausser mes manuscrits de citations plus ou moins pertinentes, jusqu'au moment où ça devenait un jeu d'en recréer, d'en inventer, pour finalement comprendre qu'on n'avait plus besoin de ces encombrantes « béquilles de la pensée. »]


Et puis le livre commence enfin et on continue dans la laborieuse application éloignée de tout souffle lyrique comme du moindre germe de sobriété d'un regard particulier.
Ce soir du 27 octobre 1949 sur la piste de l'aérodrome d'Orly, le F-BAZN d'Air France s'apprête à accueillir trente-sept passagers pour les Etats-Unis.
Stop ! Assez ! Comment peut-on commencer un roman par une simple collection de faits ? Parce que l'ambition est bien d'écrire un roman (c'est écrit sur la page de titre), pas un récit recomposé ou une monographie à 37 axes. Qui peut considérer que cette nullité stylistique peut être assimilée à de la littérature ? Des centaines de tweets chaque jour ont plus de style que n'importe quelle phrase de cet incipit. Même les pages de wikipedia sont plus intéressantes (parce qu'elles ne pètent pas plus haut que leur prétention encyclopédique). Ici on a une compilation de faits, une agglomération d'anecdotes dans un précipité de posture tantôt journalistique tantôt écrivaillon bloqué au stade banal.

Pas besoin d'aller plus loin devant une telle débâcle littéraire. Je crois qu'on en est arrivé au stade où, dans notre système éducatif, les cochons de la Ferme aux Animaux récompensent les porcelets qui remplissent parfaitement les cases de la médiocrité générale érigée en religion. Une religion de l'égalitarisme forcé où l'ordre du mérite rassemble les meilleurs zélateurs du conformisme intégral. On en viendrait presque à regretter le temps où la Culture dépendait de mécènes qui savaient faire la différence entre leur position privilégiée (finalement à la portée d'opportunistes de tout poil et à la merci des révolutions) et le talent rare, le talent pur de quelques artistes.

Page 69 (pour masochistes uniquement)
Sur ma liseuse je tombe sur un autre exemple de compilation de faits, un autre patchwork de bribes journalistiques de cette époque bénie où les quotidiens sortaient des éditions spéciales pour tartiner à volonté pour profiter de l'aubaine de faits-divers qui touchaient d'un seul coup de Trafalgar différentes strates du peuple jusqu'à ce que le soufflé retombe. Ici : chapelle ardente, premiers éléments de l'enquête transcris par l'envoyé spécial du Figaro... tout un tissu de platitudes baveuses à la sauce de conjectures qui ne mangent pas de pain. Le tout sans aucune valeur aujourd'hui mais élevé au rang d'un élément de dramaturgie digne d'attention par l'auteur-compilateur.

Puisqu'Adrien Bosc aime les citations, et n'a pas peur d'être grandiloquent, voici vite fait une pensée de Victor Hugo :
« On peut violer l'Histoire à condition de lui faire de beaux enfants. »
On peut aussi remuer du fait-divers tragique à condition d'en faire le terreau d'une histoire qui vaut la peine d'être racontée. On peut faire un travail de documentation approfondi à condition d'être capable de le digérer.

Dans les quelques avis que j'ai glanés sur le web je n'ai rien trouvé de vraiment critique sur ce travail de documentaliste méticuleux diminué par la prétention littéraire. J'ai bien peur que ce genre de production fasse des émules (les éditeurs en sont peut-être déjà submergés) : un peu de google, un peu de temps passé en bibliothèque et aux archives et il ne reste plus qu'à faire un beau collage en remachouillant un peu la matière première aux entournures pour donner un peu l'impression qu'on écrit.

PS j'ai poussé le vice jusqu'au chapitre 19.
PS2 je me faisais vraiment chier dans le métro.
PS3 heureusement je n'ai pas déboursé le moindre centime. Malheureusement je ne pourrais donc pas poursuivre l'éditeur et son réseau de distribution pour escroquerie en bande organisée.

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