Constellation
Attirance morbide de saison (difficile d'échapper aux questions de
sécurité aérienne en 2014), bienveillance pour le faits-divers de
la disparition de Marcel Cerdan porté au rang de tragédie des temps
modernes et curiosité moins malsaine (quoique) pour les jeunes
auteurs français, j'ai été tenté de lire Constellation, d'Adrien Bosc.
Premier roman et tout de suite un prix, mais celui des « 40
papys la tremblotte du Quai Conti » (Desproges), je pouvais
déjà espérer que le bouquin présente quelques gages de fraicheur sans
prendre trop de liberté avec la langue française.
Sans plus de
préjugés l'incipit… ou plutôt non, car avant même d'entrer dans
le vif du sujet l'auteur choisi de fourrer des citations à
intervalles réguliers. En exergue du bouquin, puis de chaque
chapitre. C'est lourd, très lourd. Les citations perdent leur
éventuelle saveur originale et traînent comme des feuilles mortes,
platitudes collées dans l'herbier du collectionneur opportuniste.
Deux citations avant l'incipit :
« La combinaison de quelques mots suffit parfois à orienter notre vie » (Antonio Tabucchi)
puis avant le premier chapitre, Orly,
« Je suis la
vrille colossale / Qui perce l'écorce pétrifiée de la nuit. »
Ces derniers vers ont un certain charme mais ils sont totalement
écrasés par leur utilisation en paraphrase du drame qu'on va nous
raconter. [J'avoue qu'étant étudiant le manque de confiance dans ma
prose me poussait aussi à rehausser mes manuscrits de citations plus
ou moins pertinentes, jusqu'au moment où ça devenait un jeu d'en
recréer, d'en inventer, pour finalement comprendre qu'on n'avait
plus besoin de ces encombrantes « béquilles de la pensée. »]
Et puis le livre
commence enfin et on continue dans la laborieuse application éloignée
de tout souffle lyrique comme du moindre germe de sobriété d'un regard particulier.
Ce soir du 27 octobre 1949 sur la piste de l'aérodrome d'Orly, le F-BAZN d'Air France s'apprête à accueillir trente-sept passagers pour les Etats-Unis.
Stop !
Assez ! Comment peut-on commencer un roman par une simple
collection de faits ? Parce que l'ambition est bien d'écrire un
roman (c'est écrit sur la page de titre), pas un récit recomposé ou une
monographie à 37 axes. Qui peut considérer que cette nullité
stylistique peut être assimilée à de la littérature ? Des centaines de tweets chaque jour ont plus de style que n'importe quelle
phrase de cet incipit. Même les pages de wikipedia sont plus
intéressantes (parce qu'elles ne pètent pas plus haut que leur
prétention encyclopédique). Ici on a une compilation de faits, une
agglomération d'anecdotes dans un précipité de posture tantôt
journalistique tantôt écrivaillon bloqué au stade banal.
Pas besoin d'aller
plus loin devant une telle débâcle littéraire. Je crois qu'on en
est arrivé au stade où, dans notre système éducatif, les cochons
de la Ferme aux Animaux récompensent les porcelets qui remplissent
parfaitement les cases de la médiocrité générale érigée en
religion. Une religion de l'égalitarisme forcé où l'ordre du
mérite rassemble les meilleurs zélateurs du conformisme intégral.
On en viendrait presque à regretter le temps où la Culture
dépendait de mécènes qui savaient faire la différence entre leur
position privilégiée (finalement à la portée d'opportunistes de
tout poil et à la merci des révolutions) et le talent rare, le
talent pur de quelques artistes.
Page 69 (pour
masochistes uniquement)
Sur ma liseuse je tombe sur un autre exemple de
compilation de faits, un autre patchwork de bribes journalistiques de
cette époque bénie où les quotidiens sortaient des éditions
spéciales pour tartiner à volonté pour profiter de l'aubaine de
faits-divers qui touchaient d'un seul coup de Trafalgar différentes strates du peuple jusqu'à
ce que le soufflé retombe. Ici : chapelle ardente, premiers éléments de
l'enquête transcris par l'envoyé spécial du Figaro... tout un tissu de
platitudes baveuses à la sauce de conjectures qui ne mangent pas de
pain. Le tout sans aucune valeur aujourd'hui mais élevé au rang d'un élément de dramaturgie digne d'attention par l'auteur-compilateur.
Puisqu'Adrien Bosc
aime les citations, et n'a pas peur d'être grandiloquent, voici vite
fait une pensée de Victor Hugo :
« On peut violer l'Histoire à condition de lui faire de beaux enfants. »
On peut aussi
remuer du fait-divers tragique à condition d'en faire le terreau
d'une histoire qui vaut la peine d'être racontée. On peut faire un
travail de documentation approfondi à condition d'être capable de
le digérer.
Dans les quelques
avis que j'ai glanés sur le web je n'ai rien trouvé de vraiment
critique sur ce travail de documentaliste méticuleux diminué par la
prétention littéraire. J'ai bien peur que ce genre de production
fasse des émules (les éditeurs en sont peut-être déjà
submergés) : un peu de google, un peu de temps passé en
bibliothèque et aux archives et il ne reste plus qu'à faire un beau
collage en remachouillant un peu la matière première aux
entournures pour donner un peu l'impression qu'on écrit.
PS j'ai poussé le
vice jusqu'au chapitre 19.
PS2 je me faisais vraiment chier dans le métro.
PS3 heureusement je n'ai pas déboursé le moindre centime. Malheureusement je ne pourrais donc pas poursuivre l'éditeur et son réseau de distribution pour escroquerie en bande organisée.
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