jeudi 14 novembre 2013

Les Clients d'Avrenos

J'ai recherché ce livre  parce qu'il s'agissait du titre que Michel Audiard avait choisi pour parler du talent de Simenon, un talent où le style s'efface complètement derrière un savoir-faire de narration magistral (je paraphrase et j'acquiesce dans le même temps). Audiard reproche aux critiques littéraires d'avoir minimisé ce talent, d'avoir réduit Simenon à un "Balzac du pauvre" alors que pour lui (qui déteste le style de Balzac ou Zola) trouve que c'est plutôt Balzac qui serait le Simenon du pauvre.

Difficile de ne pas lire un Simenon en entier quand on le commence. Tout est limpide dans l'économie de mot, précis percutant dans les descriptions comme dans la psychologie des personnages. Mais passons le quand même à la moulinette, comme les autres.
L'incipit est intéressant, mais rien d'ahurissant non plus d'entrée de jeu. On arrive tranquillement dans une histoire, on est en Orient (Ankara) il faut se laisser gagner par l'atmosphère du lieu.
Page 69 : toute l'histoire est là en une seule page (début du chapitre IV dans mon édition, celle de 65 qui est de l'époque de l'interview d'Audiard). Les clients d'Avrenos, dont Jonsac, et puis Nouchi. Une soirée comme une autre pour eux, à boire et à fumer sur les bords du Bosphore.
Page 114 : on est un cran plus loin dans la fuite en avant au cœur de l'histoire, mais tout est pareil. Il n'y a pas vraiment d'intrigue, l'essentiel est dans l'atmosphère et les personnages qui se croisent, et parfois s'entre-choquent. Donc oui, le lecteur qui attend une intrigue policière du créateur de Maigret pourrait facilement trouver que ça ne lui évoque rien, mais comme d'habitude si on n'est pas figé sur des attentes particulières, une page est largement suffisante au talent de Simenon pour donner à voir un tableau lumineux et qui attise la curiosité en même temps. Si le style n'est pas fascinant (parce qu'il s'efface au profit de la concision et l'efficacité des mots) le savoir-faire est tout simplement fascinant.

Il faudrait être bien coincé du derche pour bouder son plaisir de lire simplement, se laisser emporter facilement dans une histoire à la fois simple mais pleine de profondeurs, de petites touches qui composent un tableau qu'on peut apprécier vite fait et néanmoins garder en mémoire très longtemps (comme Audiard qui d'ailleurs a alors, à son grand regret, voulu découvrir Istanbul par lui même, avant se réapproprier l'histoire dans son roman Le jour, la nuit... et toutes les autres nuits) parce qu'on a vraiment eu la sensation de voir ces décors et ces personnages, et même temps que de ressentir et partager leurs ambitions et leurs doutes, mais surtout d'éprouver de la sympathie malgré leurs caractères peu reluisants, bien peu héroïques ni même flamboyants.
Oui, on peut avoir l'impression que Simenon écrit avec trop de facilité, qu'il aurait pu pondre un monument mais qu'il a préféré aller au plus simple, raconter l'essentiel de son histoire en à peine 200 pages et passer à autre chose. On ne peut pas sérieusement lui reprocher d'avoir eu une imagination si fertile et une productivité si soutenue. Un Simenon moyen s'oublie plus facilement, mais un bon Simenon donne envie d'en lire d'autres. Tous les autres, avec leurs faiblesses et les redites de l'auteur, parce que tout ça est en phase avec l'humanité des personnages qu'on va croiser et qu'on va côtoyer sans distance parce qu'ils sont si proches de nous.

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