lundi 9 août 2010

L'île du jour d'avant

Seconde option pour une lecture de vacances, pour durer plus longtemps qu'un snack "Club des 5" : le gros pavé. Umberto Eco est connu comme un érudit de premier plan, le genre d'intellectuel qui fait honneur à la culture europénne. Mais qui dit intellectuel et érudit ne dit pas forcément romancier, en tout cas pas romancier au sens commun.

Le Nom de la Rose avait cette réputation d'être une livre dont beaucoup de gens parlaient dans les dîners en ville au début des années 80, mais que peu avaient lu. Un best seller du "bon ton", un ingrédient central dans la culture confiture de l'époque. Quand Jean-Jacques Annaud en a lancé l'adaptation il a usé 5 scénaristes, notamment le premier, Alain Godard qui a fait un énorme travail de défrichage pour reconstruire la trâme autour de l'essentiel de l'intrigue tout en gardant la saveur originale.

Dans l'Ile du jour d'avant toute la base de l'histoire est racontée en flashback. Le héros a fait naufrage et se retrouve aux antipodes donc l'essentiel consite à raconter qui il est et ce qu'il fait là. La lourdeur à se goinfrer un roman d'Eco n'est donc pas seulement dans les longues disgressions érudites, mais surtout dans le fait qu'on sait en commençant un chapitre qu'on ne va pas avancer dans le temps principal de l'intrigue.

Quelle est la pertinence du test de MacLuhan sur ce type de roman au long cours ? La page 69 peut très bien tomber sur un morceau d'érudition qui va plus intéresser le lecteur potentiel. Elle peut aussi tomber sur une partie plus dynamique. Ici (première édition de la traduction chez Grasset en 1996) on tombe sur une description assez crue du héros, Roberto de la Grive, dans la situation centrale du roman, c'est à dire le temps zéro de la narration sur un bateau fantôme amarré au large de la fameuse ile des antipodes. La lettre d'amour en style de l'époque (XVIIe) qui agrémente cette page est peut-être un exercice de style amusant pour Eco, mais elle n'est pour le lecteur lambda comme moi qu'une oiseuse curiosité.

Redoublons d'effort avec la page 114. Il y est encore question d'amour ! Nous sommes cette fois dans le passé du héros qui fait son éducation sentimentale grâce notamment à un personnage plus expérimenté en matière de mondanités parisiennes. Donc la page 114, sur un contenu similaire est plus légère, plus attrayante que la page 69. Mais je dois reconnaitre qu'après avoir lu le livre au delà de la page 200 (soit une bonne moitié du pavé) la page 69 est plus représentative du "plaisir" de lecture que procure l'ouvrage.

Heureusement quelques mouvements d'érudition apportent un réel intérêt à la lecture de cette histoire qui n'avance pas plus qu'elle ne décolle. Je retiens pour ma part ce passage d'une argumentation contre l'existence de Dieu qu'on retrouve aux pages 77-78 (qui pourrait être la page 69 d'une autre édition, une page 69 alors assez flatteuse sur la marchandise) :

- Donc vraiment vous ne croyez pas en Dieu ?
- Je n'en trouve point de motifs dans la nature. Et je ne suis pas le seul. Strabon nous dit que les Galiciens n'avaient aucune notion d'un être supérieur. Quand les missionanaires durant parler de Dieu aux indigènes des Indes Occidentales, nous raconte Acosta (qui portant était jésuite), ils durent employer le mot espagnol Dios. Vous ne le croirez pas, mais dans leur langue il n'existe aucun terme adéquat. Si l'idée de Dieu n'est pas connue dans l'état de nature, il doit donc s'agir d'une invention humaine... Mais ne me regardez pas comme si je n'avais pas de sains principes et n'étais pas un fidèle serviteur de mon roi. Un vrai philosophe ne demande point du tout de subvertir l'ordre des choses. Il l'accepte. Il ne demande qu'une chose : qu'on le laisse cultiver les pensées qui consolent une âme forte. Pour les autres, c'est une chance qu'il existe et des papes et des évêques pour contenir la révolte et le crime des foules. L'ordre de l'État exige une uniformité de la conduite, la religion est nécessaire au peuple et le sage doit sacrifier une part de son indépendance afin que la société demeure ferme. Quant à moi, je crois être un homme probe : je suis fidèle à mes amis, je ne mens pas, si ce n'est lorsque je fais une déclaration d'amour ; j'aime le savoir et je fais, d'après ce qu'on dit, de bons vers. Voilà pourquoi les dames me jugent galant. Je voudrais écrire des romans, qui sont fort à la mode, mais je pense à nombre d'entre eux et ne m'apprête à en écrire aucun...

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