mercredi 1 juillet 2015

Dix petits nègres


Cet air de vacances me rappelle l'époque où je dévorais des romans policiers et d'aventures sans trop me poser de question. Mais justement cela faisait partie de la formation de l'esprit critique. Chez les fans de littérature policière j'ai quand même tendance à voir des gens qui en sont restés à cet age naïf qui relie l'enfance à l'adolescence. Je ne critique pas le fait de conserver la capacité à s'émerveiller : tout le monde a besoin d'avoir conservé une "passion simple" qui le rattache à ce qu'il est vraiment, ce qui n'a pas changé au fond de lui. Je suis plus sévère avec les gens qui se complaisent dans le divertissement total. Mais il est vrai que la société de consommation cherche à nous infantiliser à la moindre occasion...


Je n'ai jamais lu d'Agatha Christie avant l'âge adulte. J'avais tenté le Meurtre de Roger Akroyd sans être intéressé par la manière dont l'histoire se développait et je n'ai pas insister après être tombé sur une description du livre donnant le fin mot de l'histoire. Parce que c'est effectivement ça le problème du 'whodunit' : on lit ça comme une énigme, comme un puzzle standard, comme on ferait un sudoku, une partie de solitaire (de candy crush ??), pour se libérer l'esprit (ou se l'occuper, c'est selon) à bon compte. Je suis assez tôt devenu fan d'Hitchcock et d'un point de vue technique narrative son talent pour le suspense était au niveau de son dénigrement du 'whodunit' (en réponse d'ailleurs à des questions récurrentes sur le fait qu'il n'adaptait pas Agatha Christie).

A l'age adulte j'ai été incité de tenter l'expérience : parce que des gens intelligents m'y incitaient et que je ne pouvais donc pas évacuer ça définitivement d'un revers de main sans y avoir goûté. Et Dix petits nègres était censé être le chef d’œuvre du genre. L'incipit est très représentatif du style de ces "romans de gare" : c'est fonctionnel, c'est du reportage, de l'écriture journalistique faite pour ne laisser la place à aucune ambiguïté de langage. En deux mots : une absence de style assumée, ramenant les mots à leur fonction primaire de venir habiller le plan de l'auteur.
Confortablement installé dans le coin d'un compartiment de première classe, le juge Wargrave, depuis peu à la retraite, tirait des bouffées de son cigare en parcourant, d'un œil intéressé, les nouvelles politiques du Times.
Bientôt, il posa son journal sur la banquette et jeta un regard par la vitre. Le train traversait le comté de Somerset. Le juge consulta sa montre: encore deux heures de voyage!  Alors, il se remémora les articles publiés dans la presse au sujet de l'île du Nègre.