lundi 17 septembre 2012

La Carte et le Territoire

Je n'avais plus lu Houellebecq depuis Les Particules Elémentaires, qui ne m'a pas marqué outre mesure, mais j'avais tout de même donné une autre chance à l'auteur en lisant ensuite Extension du domaine de la lutte. Même style limpide, même côté énervé parfois saignant à souhait, mais finalement plutôt énervant. Houellebecq a continué à faire parler de lui, toujours dans ce style de provocateur-pontificateur, et il a finalement eu le Goncourt en 2010. Soit dit en passant, à part pour son ego à Saint-Germain-les-Prés, je me demande bien ce qu'un Goncourt peut apporter à un auteur qui se vend très bien depuis plus de 10 ans. C'est plutôt l'Académie Goncourt qui est gagnante sur ce coup après des années à récompenser d'obscurs ouvrages d'auteurs pas du tout médiatiques. Et Pivot n'est plus là pour leur tendre la perche (ou leur servir la soupe, c'est selon) avec naturel et à des heures raisonnables.

Pas plus de raison que ça de lire La Carte et le Territoire donc, à part peut-être cette anecdote d'un petit zorro improvisé qui a publié la version électronique du livre comme s'il tombait sous le coup d'une licence Creative Commons sous prétexte que Houellebecq avait pompé des morceaux entiers de l'encyclopédie libre Wikipedia sans même s'abaisser à la citer en source. Et encore. Balzac nous saoulait déjà avec son remplissage descriptif alors si Houellebecq se fout de nous en balançant de la notice encyclopédique sur Beauvais, la mouche domestique ou les commissaires de police...

Toujours est-il que je n'aurais jamais été jusqu'à lire le bouquin si je n'en avais pas retrouvé une copie numérique illégale, ce qui ne change rien à l'esprit du test, et colle parfaitement à l'esprit anarcho-capitaliste/nihilo-romantique du bonhomme.

Incipit
 
Du Houellebecq pur sucre : description sèche et précise qui n'a pas peur de dépasser les bornes du grotesque et du style journalistique (à apprécier au 114e degré bien entendu). On ne peut pas dire que Houellebecq se la joue abscons (genre litterateur prout-prout qui tire la langue) ou trop relâché (genre Américaine Paille Beigbedder), mais il aime bien naviguer entre les deux. Sur le fond il se la joue quand même grave "je vous explique le monde en décrépitude dans lequel on vit" et sur la forme c'est vas-y que je te mélange un peu de tout vite fait. C'est tout Houellebecq qui se décrit lui-même dès ce début de roman :
on pouvait le faire brutal, cynique, genre « je chie sur vous du haut de mon fric » ; on pouvait aussi le faire artiste révolté (mais quand même riche) poursuivant un travail angoissé sur la mort ; il y avait enfin dans son visage quelque chose de sanguin et de lourd, typiquement anglais, qui le rapprochait d’un fan de base d’Arsenal.
Alors oui cette dernière comparaison complètement aux ras des pâquerettes ne le concerne pas directement mais elle illustre parfaitement le fait que Monsieur Houellebecq n'a peur de rien.
Ce qui moi m'énerve là-dedans (mais qui apparemment en fascine beaucoup) c'est l'omniprésence de Houellebecq dans ses descriptions. Il a vraiment plus l'âme d'un polémiste de tête de gondole comme Eric Zemmour, mais justement ça gagne moins et ça fait plus journaleux à la noix qui creuse son créneau. Houellebecq est derrière chacun de ses personnages principaux, mais pas en filigrane comme on peut l'attendre de n'importe quel auteur, non parce qu'avec Houellebecq le roman est un prétexte aux sombres gaudrioles de Michel Houellebecq.
Ici, plus que dans les Particules ou Extension, le héros (Jed Martin) est translucide. Rien dans ce qu'il fait ou dans les paroles qu'il prononce ne dénote la moindre force de caractère (j'ai fini la Première Partie), et pourtant le texte est truffé de digressions pontifiantes de l'auteur qui, théoriquement, sont censées correspondre aux réflexions intérieures de Jed (eh oui, tout le monde n'a pas la chance de se prénomer Michel).

Page 69

Tout Houllebecq en quelques lignes. D'abord le jugement impitoyable et drôle :
(il chercha à nouveau ses mots, c’est l’inconvénient avec les polytechniciens, ils reviennent un peu moins cher que les énarques à l’embauche, mais ils mettent davantage de temps à trouver leurs mots ; finalement, il s’aperçut qu’il était hors sujet)
et juste avant ce passage à la même page 69 la description grotesque :
Il se redressa d’un coup sur son canapé, fugitivement Jed eut l’impression qu’il allait sauter à pieds joints sur la table basse et se frapper la poitrine des poings dans une imitation de Tarzan ; il cligna des yeux pour chasser la vision.
Le jugement impitoyable peut défier la logique et être très superficiel, c'est son côté définitif et clinglant qui fait mouche. La comparaison grotesque est en revanche plus nettement dans le n'importe quoi, et là franchement, à part le fan de base de Michel Houellebecq (qui a, comme chacun sait, quelque chose de sanguin dans les contradictions et d'acerbe dans la critique facile, typiquement français), on peut faire la moue devant ces indications visuelles approximatives introduites à grand coups de cymbales.

Exceptionnellement je n'irais pas jusqu'à la page 114 aujourd'hui, mais je continuerai à lire ce roman jusqu'au début de sa troisième partie qu'on ma annoncée très décevante. Oserais-je faire du mauvais esprit et dire que cela ne m'étonne guère ? Houellebecq et son éditeur peuvent revendiquer un style tout en collages-téléscopages, franchement moi ce que je vois c'est un mec qui a des facilités pour écrire et qui ne force pas trop son talent pour pondre un roman à moitié abouti où il exprime en vrac son opinion sur tout et n'importe quoi tous les 3-5 ans.
«  Alors, qu'est-ce que ce roman [La Carte et le territoire] offre de nouveau ? [...] Des bavardages sur la condition humaine, une écriture affectée qui prétend à l'épure [...]. »
Tahar Ben Jelloun

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