vendredi 28 novembre 2008

L'immortalité

Mon point de vue très panoramique sur Proust ne doit pas passer pour de l'anti-intellectualisme primaire, ou une opportunité gratuite pour moi de faire le malin en crachant dans l'infusion à la camomille. Il y a des lectures que je reconnais comme très intellectuelles mais qui sont beaucoup plus lisibles, comme un simple roman, qu'un gros Proust. Ce n'est pas parce que le contexte est riche qu'on doit entrer en hyperventillation !

Avant de lire L'insoutenable légèreté de l'être je m'étais intéressé au roman suivant de Kundera : L'immortalité. Aucune raison particulière, si ce n'est que je devais être dans une phase plus intellectuelle si j'en crois le titre, mais aussi le menu du bouquin étalé en quatrième de couverture. Quoiqu'il en soit, après l'avoir vaguement feuilleté au Virgin du Carroussel, je l'ai acheté et j'ai lu avec plaisir ces 500 pages.

La première page montre un style simple quoiqu'on rentre direct dans une sorte d'introspection-analyse du monde environnant qui, chez Houellebecq, tournerait vite à un trip d'intellectuel tourmenté cuisiné dans une grande marmitte avec des arômates de l'air du temps. Bref, si un incipit peut rebuter le lecteur, le début de L'immortalité engage à lire plus loin. Et c'est tant mieux parce qu'il ne s'agit pas d'avoir l'air génial à la première des 500 pages...
J'appelle à la barre McLuhan.
Page 69. Nous sommes dans le chapitre 9, à la toute fin de la première des 7 parties du roman. On est toujours dans cette analyse extérieure qui donne tout de suite une coloration très intellectuelle, d'autant qu'il s'agit d'observer un couple sur la durée. C'est très pertinent, très bien décrit, le style est toujours aussi simple, au service des idées avancées, sans en rajouter. Le tout donne l'impression que l'émotion n'arrive pas à prendre pied dans le décor, entre nos personnages. Et c'est précisément le ton qu'il faut sur les mots justes.
La page 114 nous propulse au cœur de la deuxième partie où Kundera fait une digression, qui m'a beaucoup marqué à l'époque, sur Goethe. La page 114 seule ne permet pas de saisir la pertinence de cette digression au cœur du roman, elle n'en reste pas moins stimulante. Le style n'a pas varié, et la distanciation qu'il apporte est peut-être plus facile à accepter, dans le cadre de cet essai sur l'immortalité de Goethe, pour le lecteur papillonnant qui cherche des raisons d'avoir envie de ce livre.

Bref, McLuhan jure toujours de dire toute la vérité, rien que la vérité. La page 69 me parait ici correspondre pleinement au souvenir que j'ai gardé de ma lecture.

samedi 8 novembre 2008

Du côté de chez Swann

Gide s'en est donc voulu de rejeter le premier morceau de la Recherche du Temps Perdu sur une impression superficielle, en l'occurrence un échantillon statistique digne de McLuhan. Il s'agit de bien voir ce qui, sur nos exemples, fait toute la pertinence du sondage auquel se résume la règle de McLuhan. Je fais part ici de mon propre jugement littéraire, de mon appréciation sur ces échantillons en fonction de mes attentes et de mes goûts, a posteriori (bien conscient de ce qu'une lecture intégrale m'a apporté ou pas), mais aussi quelques fois a priori. Libre à chacun de procéder lui-même à ces expériences sur des livres déjà lus, des livres conseillés, ou des livres qu'il tarde à entamer : la règle de la page 69, pour universelle que soit sa valeur, ne fournit qu'une conclusion relative à un lecteur donné.

Proust. Voilà un auteur qui tient un place écrasante dans la littérature française. Il arrive après le foisonnement du XIXe et semble mettre un point final aux œuvres imposantes, aux sommes du genre La Comédie Humaine ou Les Rougon-Macquart, de même qu'il lance la mode de la plate ego-fiction après une période où certains ont cherché à écrire (trop) différemment juste pour faire les malins. Proust est révéré à l'étranger et de manière générale dans les milieux qui se targuent de connaître la littérature. Pourtant, concrètement, le style de Proust demande tellement d'efforts de concentration qu'on ne peut pas dire qu'il s'adresse à tout le monde. Personnellement j'ai essayé deux fois de lire Du côté de chez Swann, j'ai trouvé l'expérience très riche mais aussi très frustrante parce qu'à force de foisonnement intellectuel on perd le fil, on revient en arrière... lire Proust devient vite laborieux et loin de tout le plaisir simple de la lecture. Je sais bien que certains sont plus capables que moi pour cette expérience anaérobie, mais c'est qu'ils ont des capacités de concentration nettement au-dessus de la moyenne (à moins que ce ne soit au niveau de l'oxygénation du cerveau). Proust est élitiste, Proust est inextricablement intellectuel.

Quand Gide regrette d'avoir jugé trop vite Proust, il regrette d'abord d'avoir poussé un peu vite chez un autre éditeur le potentiel d'un tel écrivain. Est-ce qu'une règle plus rigoureuse comme celle de McLuhan lui aurait permis au moins de ne pas surestimer sa capacité à juger rapidement et personnellement un manuscrit ? De juger professionnellement (voire scientifiquement) sans perdre son temps à rentrer dans une lecture où le côté émotionnel prend vite le pas sur le rationnel ?

Incipit.
"Longtemps, je me suis couché de bonne heure." Tout le monde connait cette première phrase, magnifique, que le premier chapitre va nous développer et nous diluer et nous baratter pendant une centaine de pages (une cinquantaine dans l'édition "écrit petit" du Livre de Poche) pour s'achever sur l'anecdote de la madeleine, nostalgie sensorielle diffuse, véritable point de départ de cette recherche du temps perdu.
Page 69. Discussion mondaine où Swann argumente qu'il vaudrait mieux lire chaque jour des Pensées de Pascal plutôt que les informations biodégradables que nous proposent les journaux. N'est-ce pas merveilleux comment ce passage résume l'esprit de Proust, cette vie hors du temps, où l'on perd son temps justement à discuter d'un monde idéal où le temps serait employé aux choses importantes de l'esprit ? Tout ça est bien mis en scène, délicieusement suranné et subtilement futile. Que dire de plus sur Proust ?
Page 114. Considérations très banales sur la santé de sa tante, featuring Platitudes bien ordonnées by Eulalie.

En somme, ma tante exigeait à la fois qu'on l'approuvât dans son régime, qu'on la plaignît pour ses souffrances et qu'on la rassurât sur son avenir.
C'est à quoi Eulalie excellait.

Moins intéressant que la page 69 (Swann n'est pas là donc on tombe dans un quotidien plus qu'insignifiant) mais les phrases sont nettement moins longues qu'au début, et on peut se laisser séduire par ce goût de madeleine égrené au fil des subjonctifs.

Si l'on veut bien reconnaitre la nostalgie comme un fonds de commerce littéraire, alors Proust en a créé un modèle d'exploitation intensive. A l'opposé de l'interminable Recherche du Temps Perdu les Souvenirs d'enfance de Pagnol sont proposées à la lecture dès l'école primaire. Le langage est simple, imagé et rayonnant du soleil de Provence ; Pagnol raconte des épisodes saillants de sa jeunesse sans prétendre tout faire tenir dans une madeleine intellectuelle. Il ne s'agit pas d'une morbide nostalgie mais simplement de souvenirs d'enfance qu'on lui a demandé de retranscrire. Alors certes "Je suis né dans la ville d'Aubagne, sous le Garlaban couronné de chèvres, au temps des derniers chevriers." c'est moins puissant intellectuellement, mais combien plus joli. Alors qui est ce Proust qui nous propose juste de perdre notre temps en déchiffrant avec lui comment il a perdu le sien ?