L'immortalité
Mon point de vue très panoramique sur Proust ne doit pas passer pour de l'anti-intellectualisme primaire, ou une opportunité gratuite pour moi de faire le malin en crachant dans l'infusion à la camomille. Il y a des lectures que je reconnais comme très intellectuelles mais qui sont beaucoup plus lisibles, comme un simple roman, qu'un gros Proust. Ce n'est pas parce que le contexte est riche qu'on doit entrer en hyperventillation !
Avant de lire L'insoutenable légèreté de l'être je m'étais intéressé au roman suivant de Kundera : L'immortalité. Aucune raison particulière, si ce n'est que je devais être dans une phase plus intellectuelle si j'en crois le titre, mais aussi le menu du bouquin étalé en quatrième de couverture. Quoiqu'il en soit, après l'avoir vaguement feuilleté au Virgin du Carroussel, je l'ai acheté et j'ai lu avec plaisir ces 500 pages.
La première page montre un style simple quoiqu'on rentre direct dans une sorte d'introspection-analyse du monde environnant qui, chez Houellebecq, tournerait vite à un trip d'intellectuel tourmenté cuisiné dans une grande marmitte avec des arômates de l'air du temps. Bref, si un incipit peut rebuter le lecteur, le début de L'immortalité engage à lire plus loin. Et c'est tant mieux parce qu'il ne s'agit pas d'avoir l'air génial à la première des 500 pages...
J'appelle à la barre McLuhan.
Page 69. Nous sommes dans le chapitre 9, à la toute fin de la première des 7 parties du roman. On est toujours dans cette analyse extérieure qui donne tout de suite une coloration très intellectuelle, d'autant qu'il s'agit d'observer un couple sur la durée. C'est très pertinent, très bien décrit, le style est toujours aussi simple, au service des idées avancées, sans en rajouter. Le tout donne l'impression que l'émotion n'arrive pas à prendre pied dans le décor, entre nos personnages. Et c'est précisément le ton qu'il faut sur les mots justes.
La page 114 nous propulse au cœur de la deuxième partie où Kundera fait une digression, qui m'a beaucoup marqué à l'époque, sur Goethe. La page 114 seule ne permet pas de saisir la pertinence de cette digression au cœur du roman, elle n'en reste pas moins stimulante. Le style n'a pas varié, et la distanciation qu'il apporte est peut-être plus facile à accepter, dans le cadre de cet essai sur l'immortalité de Goethe, pour le lecteur papillonnant qui cherche des raisons d'avoir envie de ce livre.
Bref, McLuhan jure toujours de dire toute la vérité, rien que la vérité. La page 69 me parait ici correspondre pleinement au souvenir que j'ai gardé de ma lecture.