mercredi 13 avril 2011

Le Crime de Sylvestre Bonnard

Jean-Marc Proust sur slate.fr concluait sur cette question essentielle, après l'analyse brute des chiffres du commerce du livre des auteurs français :

Homère 115.000 [exemplaires vendus en 2010]: pas mal pour un auteur de la fin du VIIIe siècle avant JC.

Euh, dites-moi, Monsieur Lévy, combien vendrez-vous de livres dans… 29 siècles?
Alors oui, Marc Lévy n'a aucune chance de passer pour un auteur classique dans les années à venir. Mais j'imagine qu'il se console des critiques de son talent de marchand de papier avec les lignes de ses comptes en banque. Ceci dit, a contrario, un auteur reconnu pour son talent d'écrivain à une époque ne va pas forcément mieux passer l'épreuve du temps. Comme nous l'allons voir tantôt.

Anatole France, voilà un nom qui respire bon la France, ses traditions littéraires, sa terre qui ne ment pas et sa souche d'éducation nationale de la IIIe République. Oui, il a un peu triché parce que ce n'est pas son vrai nom, mais ce monsieur qu'on retrouve encore dans l'enseignement primaire sur quelques textes est estampillé Académicien français et Prix Nobel de Littérature (1921), s'il vous plait. Mais que reste-t-il aujourd'hui du brave et consciencieux nanatole ?

Je suis tombé par hasard ce week-end sur Le Crime de Sylvestre Bonnard, titre qui lui aussi fleure bon la littérature de (grand) papa. Pris par surprise d'un auteur dont je n'ai même pas le souvenir d'un texte précis ou d'un ouvrage majeur, je n'ai même pas songé à procéder au test de la page 69 (ou 99 ou 114). Ce qui me rassure d'ailleurs car il serait triste que ce réflexe mécanique, genre déformation professionnelle de tâcheron de la critique, prenne le pas sur le premier regard naïf du lecteur lors d'une rencontre avec un livre. Pas d'a priori donc, mais juste la curiosité de voir ce qu'Anatole France avait dans le plumier. Soit dit en passant je pense que tout amateur de littérature doit pouvoir être avant tout un amoureux du livre (et sans être un fétichiste, vive les opportunités offertes par le livre électronique) : il trouve d'abord un livre qu'il convoitait, qu'il désirait, ou simplement qu'il rencontre par hasard ; ensuite la magie se prolonge ou pas au fil des pages. La rencontre avec une histoire, un état d'esprit, un auteur n'a pas forcément lieu, mais à la base il y a simplement cet état d'esprit porté vers la découverte, vers l'autre, mais contrairement au quotidien, dans un démarche purement intellectuelle puisque tout va passer par des mots, des sensations et des idées, et le talent d'un écrivain pour faire glisser ces mots dans le sens voulu.

Le Crime de Sylvestre Bonnard est censé être le livre qui apporte à Anatole France la notoriété. L'ouvrage est d'ailleurs couronné par l'académie française (pour ce que ça signifie, aujourd'hui comme cent ans en arrière). J'ai commencé à le lire sans a priori donc, et c'est parvenu à une trentaine de pages que je me suis dit que je m'ennuyais ferme. L'incipit est ronronnant, comme le chat Hamilcar du narrateur, et comme le narrateur lui-même, vieil érudit qui peut tout à loisir cultiver son obsession pour tel ou tel pan vermoulu de littérature. Franchement, cette littérature là est miteuse : contexte inexistant, par la force d'un personnage vivant dans son monde étriqué, et potentiel dramatique ridicule confinant au faits-divers plus gênant que curieux.

Soit, j'aurais peut-être dû commencer par la page 69 (que je n'ai même pas atteinte 3 jours plus tard). Le roman s'y améliore-t-il significativement ? Non. Le narrateur nous décrit sa journée, les détails ne sont pas franchement intéressants. Dans le passage en question on le sent motivé par un but précis, mais tout cela ne sort pas du style "pedestrian" comme on dit en anglais : l'auteur nous emmène pour une vague promenade sur un rythme pépère avec un décor qui change régulièrement, mais pas trop. Rien d'imprévisible, tout arrive à point nommé.

Page 114 ? De pire en pire. Considérations oiseuses, générales donc sans profondeur, sur l'amour des autres. Le vieil Anatole nous emmerde comme une séance du dictionnaire à l'académie. Ah, sûr qu'il y avait sa place !

Conclusion : je ne pourrais jamais avoir l'objectivité de "découvrir" un best-seller de Marc Lévy ou autre. Les titres et l'iconographie des couvertures me rebutent, les histoires racontées me semblent du vent. Un vent chaud et humide peut être bien agréable pour des lectrices qui ont à tout prix besoin de s'occuper l'esprit avec des bons sentiments, des demi-questions et des semblants de réponse. Je ne suis pas dans la cible, point. Pour ce qui se prend plus pour de la littérature, j'ai déjà abordé le cas Houellebecq ici. J'ai lu 2 de ces premiers romans, son style énervé de Céline alternativement sous Prozac et Viagra lui a valu un succès et surtout une reconnaissance qui va bien au delà de son talent. Donc l'animal se complait depuis bien longtemps dans sa position d'intellectuel patenté, un label attribué à vie chez nous, quelles que soient les preuves d'esbrouffe et de décrépitude qui s'accumulent. Mais une fois qu'il aura arrêté d'écrire et de parler (malheureusement il faut craindre qu'il continue jusqu'à ce que mort s'ensuive), Houellebecq rejoindra vite Anatole France au cimetière des éléphants.