vendredi 6 mars 2009

Boule de Suif

On rencontre toujours quelques pédants pour regarder Maupassant de haut. Pas assez sophistiqué, il serait juste bon à s'ouvrir à la littérature quand on arrive à l'adolescence, ou à apprendre le français quand ce n'est pas notre langue maternelle. Le gros préjugé derrière tout ça consiste à dire que Maupassant écrit dans une langue simple, un français propre mais limité. Cette idée reçue, typique des pédants qui ont donc une haute opinion de leur capacité de jugement, ne survit pas à une analyse comparative sérieuse du vocabulaire employé par Maupassant et celui de contemporains plus estimés comme Flaubert, Zola ou Proust.

Alors certes, les romans de Maupassant ne sont pas des chefs-d'œuvre. Bien charpentés, il leur manque toujours un souffle qui porte au delà de l'enchaînement de tableaux merveilleusement mis en scène. Bel-ami, que je considère comme son meilleur roman, est un excellent conte pour adultes où le rythme de l'histoire, la dynamique du personnage central, arrive à faire oublier la vacuité des personnages. Dans les autres romans il y a une forme de morale directement pessimiste qui peut avoir son charme (quand on commence Une Vie, ou quand on lit rapidement Mont-Oriol ou Pierre et Jean), mais qui tourne vite à l'obsession morbide (Fort comme la Mort).

Quoiqu'il en soit, tout le monde, à la suite de Flaubert, s'accorde à reconnaître Boule de Suif comme le chef-d'œuvre de Maupassant. Cette longue nouvelle a marqué son entrée sur la scène littéraire et il est un peu facile de regarder l'auteur comme un businessman de la plume qui aurait ensuite décliné son savoir-faire en publiant ses petites histoires dans la presse. Ceci dit, l'enthousiasme, la fraîcheur d'esprit sur Boule de Suif laissent plus de place à l'empathie de l'auteur pour son personnage central (empathie qui choque toujours le bourgeois d'ailleurs). Si sur une soixantaine de pages (édition Olendorff de 1907) Maupassant est au sommet de son art, cela ne veut pas pour autant dire qu'il est plus facile d'écrire des histoires courtes. C'est peut-être plus facile pour commencer à travailler son style, mais un bon romancier ne peut pas forcément pondre d'aussi bonnes nouvelles (un excellent écrivain, si).

Pas de test de la page 69 donc pour Boule de Suif qui, de toute façon, se lit d'une traite en moins d'une demi-heure pour les plus rapides. On a souvent dit que le style de Maupassant était très proche du cinéma. Du cinéma classique, utilisant un vocabulaire balisé diraient encore une fois les plus méprisants. La première page de Boule de Suif démarre sur un plan d'ensemble. Le décor, l'action sont posés avec une économie de mots, un rythme et une précision photographiques. Ce qui gênerait les pédants littérateurs ce serait donc ça, cette simplicité où il suffit presque de s'installer et de laisser le conteur faire son travail, laisser les images s'enchaîner. Encore une fois il ne faut pas s'attarder aux premières pages : ici, la description du contexte de la guerre de 1870 ne doit pas faire fuir ceux qui cherchent des histoires où les relations entre les personnages ne sont pas régies par des grades fixes.

Adaptons le test de McLuhan : si la page 69 correspond la plupart du temps au premier tiers d'un roman de 200 pages, intéressons-nous à la page 23 de Boule de Suif. Sans préméditation, je découvre que tout est dans cette page : le mépris et l'hypocrisie des occupants, la gentillesse de Boule-de-Suif qui confine à la naïveté sociale. Pas plus que Maupassant elle n'a la prétention de se placer au-dessus de sa situation sociale et elle ne cherche pas non plus à en imposer aux autres pour anticiper leurs remarques dans son dos et leur faire baisser les yeux face à elle.

Même si d'aucuns le classent comme un écrivain de deuxième catégorie, Maupassant ne dépend pas du regard des autres parce qu'il n'a jamais fait l'erreur d'écrire pour les critiques littéraires. Qui lit encore les Goncourt aujourd'hui ? Des étudiants qui sont obligés de le faire, et pourtant, les frères Goncourt sont le symbole de la réussite littéraire qui fait baver les milliers de français qui se font fort d'aligner trois phrases avec prétention dans le style et dans la pose comme conteurs d'histoire. Maupassant, lui, a gagné l'admiration des lecteurs, pas de ceux qui croient savoir ce qu'est la littérature.