mardi 28 octobre 2008

Les Caves du Vatican

Au hasard d'un déménagement ce livre de Gide et Du côté de chez Swann se sont trouvés côte à côte dans ma bibliothèque. Je parlerai de Proust la prochaine fois, mais il est amusant de noter que Gide faisait partie du comité de lecture qui, à la NRF, a refusé le début de La Recherche du Temps Perdu. Gide en a d'ailleurs accepté la responsabilité et a même avoué s'être bloqué sur une description de la grand-mère au début du roman. J'avoue que cette description morbide (on dirait qu'il décrit le cadavre de sa grand-mère) m'avait interpelé dans mon effort pour suivre le fil du temps des jours pas perdus pour tout le monde, enfin presque...

Bref Gide avait fait confiance à son expérience pour rejeter le bouquin sur la foi d'une mauvaise impression tombée d'un passage, alors voyons ce que cela donne si on lui applique le même principe avec la rigueur mathématique de McLuhan.
L'incipit n'est pas vraiment passionnant. Gide parle de ce livre comme d'une sotie, et non d'un roman. Effectivement ça ressemble à un petit exercice bourgeois, une histoire qui commence de but en blanc avec les noms des personnages, sans prendre le temps des mots pour poser le décor, une situation. Au moins reconnaissons que les phrases sont courtes et qu'on ne peut pas se plaindre d'être pris en otage par un style qui prend son temps.
Page 69. Le hasard fait-il bien les choses ? Le style n'a pas changé, beaucoup de dialogue, on se sent un peu dans une pièce de boulevard. Seulement voilà, on fait la connaissance de Lafcadio. Le nom déjà est mystérieux, puis le caractère du personnage pointe à travers les phrases qui s'adressent à lui sans qu'il ait besoin de se présenter. Voyons plus loin si tout ça n'est pas qu'un heureux hasard...
Page 114. On revient dans l'esprit de la blague bourgeoise : une flopée de noms incongrus dans une évocation pour le moins surprenante qui ne va pas rassurer le lecteur à la recherche d'un roman bien charpenté habillé d'un style qui coule de source.

Alors ? Il faut reconnaitre que Les Caves du Vatican tire l'essentiel de son intérêt du personnage de Lafcadio, dont l'éclosion est longtemps repoussée. La page 69 fait ressortir ce point avec une clarté impressionnante ! Même dans une autre édition de la sotie Lafcadio la page 69 serait aussi révélatrice puisqu'il est, dans la pagination Folio, très présent de la page 50 à 80 sq. où il raconte plus ou moins sa vie.

Bref, remercions une nouvelle fois McLuhan, avant de lui soumettre Proust.

mercredi 22 octobre 2008

Si par une nuit d'hiver un voyageur

Si les verbicrucistes s'amusaient à faire des romans, ils donneraient dans l'OuLiPo. En tout cas ma contrainte à moi c'était de placer un mot peu courant de plus de 12 lettres en tête de l'entrée du jour. Bref, quand on s'intéresse à l'oeuvre d'un membre de l'OuLiPo on peut craindre une certaine frustration : intellectuellement oui ça a des chances d'être intéressant, mais justement niveau littérature ça se triture "les boyaux de la tête" et c'est pas bon pour mon cholestérol (je veux dire, pour la santé générale du truc).

Est-ce que cette analyse-généralisation a posteriori est confirmée par notre sacro-sainte démarche de statisticien i-69-114 pour le roman d'Italo Calvino Si par une nuit d'hiver un voyageur ?
Première page ("Chapitre un") : l'auteur parle au lecteur, le met en situation de se relaxer pour partir en voyage. C'est agréable ces attentions, rien à dire, c'est bien dit, mais pourtant, en s'adressant à moi en tant que lecteur, l'auteur ne veut pas que j'oublie ma situation. Il me refuse l'évasion totale qu'il se propose cependant de mettre en scène au niveau créatif. Vous voyez, c'est déjà très intellectuel comme démarche.
Passons outre, c'est bien écrit donc cela suffit à pousser la curiosité plus loin. A vous McLuhan.
Page 69. Chapitre intitulé "Penché au bord de la côte escarpée". On dirait du Kafka, le lecteur potentiel arrivé ici ne sera pas convaincu, et pour cause. Le passage qui échoue page 69 n'est qu'un passage d'un des avatars de récit que lance Calvino. En l'occurrence ce n'est pas celui dont le parti-pris stylistique est le plus intéressant et de surcroît on retrouve à l'intérieur du texte des mots qui rappellent la construction purement intellectuelle du récit, et plutôt que récit je dirais : l'expérience créative soumise à l'intellect du lecteur.

La page 114 nous apporte-t-elle plus de motivation pour nous perdre dans ce dédale où le créateur se complaît-il dans les plans de sa construction d'avant-garde sans jamais s'abaisser à penser à l'aspect purement fonctionnel ? P.114, fin du "Chapitre Cinq", c'est à dire d'un interlude entre deux avatars de l'exercice de style hyperbolique où l'auteur revient vers le lecteur dans un contexte d'écriture mise en abyme (et combien vertigineuse à force).
Il y a des années que Cavedagna vit auprès des livres pendant qu'ils se font, pièce à pièce, qu'il voit des livres naître et mourir tous les jours, et pourtant, les vrais livres, pour lui, c'est autre chose : ce sont ceux du temps où, pour lui, les livres étaient les messagers d'autres mondes.

Confirmation complète de l'idée générale de cette production : attention, lecture intellectuelle ! Évidemment certains passages sont brillants, mais au final c'est un exercice de style que le lecteur qui cherche simplement le plaisir de lire (sans cahots intellos) pourra s'épargner.
Le lecteur avare de son temps remerciera donc McLuhan pour cette règle qui prouve, encore une fois ici, toute sa valeur !

PS Contrairement au livre précédent la traduction est ici limpide, ce n'est pas parce qu'on n'a rien à lui reprocher qu'il faudrait l'oublier !

samedi 11 octobre 2008

L'Aliéniste

On commémore cette année le centenaire de la mort de J-M Machado de Assis, auteur très important au Brésil et qui est même présenté par certains comme l'auteur sud-américain le plus important devant Borgès, qui lui, pas plus que Vargas Llosa, n'a dû subir cent ans de solitude avant d'être reconnu au niveau mondial.

Je commence ma découverte de l'auteur par un petit roman qui échappera au test de la page 114 puisqu'il compte à peine 80 pages. Comme quoi, quelles que soient les raisons théoriques de son choix, Marshall McLuhan avait vachement bien calibré sa règle à préjuger des livres !

Première page. On débute un conte, ce qui permet à l'auteur de faire une exposition traditionnelle de ce genre d'histoire (recul du narrateur, description de la perspective historique) avant de rentrer dans le vif du sujet. Ici Machado de Assis ne se complait pas dans sa description du héros et donne tout de suite le ton avec le commentaire sur son mariage. On ne peut qu'être séduit et plonger dans l'histoire.

Page 69. On est presque à la fin de ce court roman donc (cette longue nouvelle ? Boule de Suif est de ce calibre), mais seulement à la fin du chapitre 7 sur les 13 qui composent L'Aliéniste. Plus exactement, on est à cet endroit précis au coeur d'une réflexion sur le pouvoir qui ne peut qu'intriguer le lecteur potentiel, venu chercher jusqu'à la page 69 une raison supplémentaire de lire le roman (et franchement, pour une roman aussi court, avec son style simple de conte, la première page suffit ; ou alors c'est qu'on cherche des prétextes fallacieux pour ne pas le lire !).

Petit bémol tout de même : je ne lis malheureusement pas le portugais et la traduction française (qui doit être la seule diffusée, si j'en crois la confidentialité de cet auteur) est parfois lourde. Certaines phrases sonnent mal et j'ai même eu du mal à comprendre un ou deux passages pas clairs du tout.