mercredi 27 juin 2007

What makes Sammy run?

Sammy c'est en quelque sorte le Bel-ami américain, ou plutôt un Rastignac dont on suit l'ascension de manière indirecte. Le pouvoir suprême c'est bien ce que promettait aux jeunes arrivistes le Hollywood de l'entre deux guerres, le pouvoir à tout prix moins l'exposition de la politique : le rêve américain en pleine expansion grâce à la frontière californienne.

Budd Schulberg (93 ans 1/4 aujourd'hui) réussit le portrait de Sammy à l'ouverture du roman. Il faut dire qu'il a choisi un narrateur oscillant entre neutralité et désabusement, il peut alors alterner les descriptions saisissantes et l'effacement derrière l'action. C'est un choix qui a des avantages évidents mais qui présente le risque de paraître artificiel si 1/le personnage principal n'est pas assez fort pour faire oublier la caméra (le narrateur) et 2/si le narrateur ne reste qu'un prétexte, un invertébré au service du squelette narratif. Schulberg évite les deux écueils et usera du même équilibre fascination/rationalisation dans le formidable scénario de A Face in the Crowd (Une homme dans la foule) pour Elia Kazan où Walther Matthau et Patricia Neal améliorent ce qui existait déjà dans Sammy.

Page 69 de mon édition (Bantam books, 8e tirage, 1949 !) a lieu une scène magistrale où Sammy fait un numéro de jeune arriviste culotté devant le chef de rang d'un restaurant, sous le regard interloqué des autres clients et le regard gêné et réprobateur du narrateur et de son double féminin bien plus à l'aise avec l'énergie à canaliser de ce blanc-bec.

Page 114. Passage difficile à comprendre hors du contexte, disons que la description est assez forte (il s'agit d'une ellipse narrative résumant l'action "hors-champ" d'une trame de fond) doit suffire à éveiller l'intérêt du lecteur potentiel qui feuillette et a voulu pousser le plaisir plus loin que la page 69. Disons pour ne rien dévoiler qu'il est question à cette page d'un nègre (un ghostwriter en VO), personnage bien utile à notre arriviste qui n'a forcément aucun autre talent que celui de son aplomb phénoménal et de sa volonté d'arriver à toute épreuve.

Bel exemple d'un roman très bien écrit. Style limpide et nerveux, personnages réussis, histoire simple et passionnante. Le test de Marshall McLuhan ne peut pas faire long feu et, de fait, il ne déçoit pas plus que le bouquin.

mardi 26 juin 2007

A propos de Dieu : la Terre est ronde

Après le Da Vinci code voici le second livre que je n'ai pas lu à passer au test i-69-114. Autant j'aime la philosophie autant les bouquins de spiritualité ne m'intéressent pas du tout et cet exemple me conforte dans mes préjugés à leur sujet.

Tout commence avec des évidences affirmées comme telles "Il est pourtant évident que jamais le connu ne pourra connaître l'inconnu ; il ne peut connaître que ce qui lui a été enseigné, ce qu'il a engrangé." (p.11). Mouais, passons directement à la page 69.

A la page 69 il est question de perception pure qu'on ne peut pas connaître avec notre expérience. Super. Krishnamurti dit ceci en 40 fois plus de mots. C'est vraiment le roi de la reformulation pour les gens lents à la comprenette.

Page 114, ou Faut-il rigoler ? "Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais plus on fait d'efforts pour comprendre un problème, moins on le comprend." Oui, ok, il faut prendre le temps de faire le vide pour s'ouvrir l'esprit face à un problème épineux, ne pas s'évertuer à le prendre par les cornes. Le problème en l'occurence c'est que la manière orientale de Krishnamurti tourne en rond pendant des paragraphes pour exprimer des évidences qui peuvent certes faire figure de paroles de sagesse, à condition de ne pas trop être exigeant.

Avé Krishna ! ceux qui ne vont pas te lire ne vont pas perdre leur temps non plus à saluer tes vérités vraies qui ne mangent pas de pain. A lire les commentaires de lecteurs sur Amazon on dirait que certains trouvent ça puissant, moi j'ai du mal à trouver ça intéressant et encore moins stimulant. Pas assez intellectuel ce Krishna sans doute, mais avec sa spiritualité discount au moins il n'a pas fondé de secte pour exploiter le fonds de commerce des esprits un peu light niveau lecture.

vendredi 22 juin 2007

L'étranger

Voilà un livre qui bénéficie d'une place privilégiée dans la littérature française puisqu'il a été à une époque le livre le plus étudié pour le bac. A ce titre c'est à peu près le seul souvenir de littérature pour beaucoup de gens qui ne lisent pas, ou si peu. Conséquence directe : quand la Fnac faisait un sondage en 2000 sur les livres les plus importants du 20e siècle c'est L'étranger qui arrivait en tête. Un choix consensuel donc, nettement devant Voyage au bout de la nuit, Les faux-monnayeurs et aussi Manhattan transfer (des livres qui ont dû être cités sans avoir été vraiment lus).

La première phrase de L'étranger est une des plus célèbre de la littérature française (quoiqu'un homme politique français, qui mérite bien l'anonymat, s'est planté en voulant faire le malin sur la question il y a quelques mois) et elle pose tout de suite l'intrigue vécue depuis le cerveau même du narrateur. L'accroche est suffisamment universelle, les phrases courtes et simples pour qu'on entre dans l'histoire sans se forcer.

Page 69. Dans l'édition de référence Folio c'est le début du chapitre 5 et la page est emblématique du roman, rien à dire. Meursault y enchaîne sur le même ton mortellement neutre le constat de son manque d'ambition professionnelle et de son manque de passion au niveau privé quand il répond à Marie qu'il veut bien l'épouser si elle veut mais qu'il ne l'aime pas, que tout lui est égal. C'est assez étonnant qu'un personnage aussi peu passionné, aussi peu passionnant soit le "héros" du livre le plus connu, ou le plus lu, de la littérature française. Le style de Camus est en phase avec ce personnage terne, ce mort vivant, qui pour subir sa vie n'en propose pas pour autant une vision particulière. Il n'est même pas un héros noir rattrapé par son passé, la fatalité etc. Sérieusement je pense que le style "à tatons" (phrases courtes, idées simples) explique à lui seul le "succès" (assisté par l'éducation nationale) du livre. Pas compliqué à lire en entier et très rapidement, lecture liée au souvenir du lycée et finalement satisfaction d'avoir ce bout de culture à revendiquer.

Pousser jusqu'à la page 114 (ch. 2 de la 2nde partie) ne nous apprend rien de plus sinon au niveau de l'évolution de l'intrigue. Meursault qui décrit sa vie en prison est plus inintéressant et même fatiguant que jamais.

Comment peut-on garder un souvenir fort de la lecture de L'étranger ? Ce n'est pas dans le bouquin qu'il faut trouver la réponse. En tout cas le test de Marshall McLuhan fonctionne parfaitement pour qui souhaite éviter une mésaventure de lecteur aussi importante que d'être pris en otage par "Aujourd'hui maman est morte."

jeudi 14 juin 2007

Scaramouche

Maintenant que j'ai vu la première adaptation cinématographique du roman de Rafael Sabatini je vais pouvoir faire une petite analyse comparée. Ce qui tombe bien c'est que la première version, qui suit de peu la publication du roman (1921 > 1924), est plus fidèle à sa source en celà qu'elle reprend nombre de scènes évacuées dans la version technicolor de 1952. Ceci m'a aidé à me remémorer quelques scènes fortes (ou pas du tout) de ce roman d'aventure qui mèle étonnement bien un fond romantique obligé avec le contexte politique complexe du début de la Révolution Française. Mais même très bon cela reste un roman d'aventure qui ne s'approche guère de la grande littérature. Quoique...

Le tout début du roman, la première phrase décrit magistralement bien le personnage principal au point que je doute que le reste du roman soit à la hauteur de cette description.
He was born with a gift of laughter and a sense that the world was mad.
La suite de la première page va plus loin dans la présentation géographique, sociale voire génétique (ah le héros d'aventure avant tout en quête de lui-même !) mais la première phrase se suffit à elle-même et justifie amplement à elle seule l'envie de lire le roman.

Test de la page 69. Le style se pare-t-il de quelques fulgurances au fil de l'aventure ou l'action se suffit-elle à elle-même ? Deuxième page du chapitre IX et dernier chapitre de la première partie (sur 3) dans mon édition, la page 69 pose l'intrigue en amenant le héros dans une impasse, seul contre tous. Scaramouche qui n'est encore qu'André-Louis Moreau se retrouve face à son amour de toujours, Aline de Gavrillac, et on a droit à un exposé de sa situation compliquée donc simple niveau action : il est pourchassé par les autorités qui sont bien évidemment du côté des méchants nobles. Bref le test de la page 69 ne pardonne pas : soit on a envie de lire un bon roman d'aventure et on trouve ici les ingrédients qu'on recherche, soit on recherche un peu mieux que des situations et des dialogues convenus à ceci près que le héros est assez jovial et insouciant, tel que présenté dans la première phrase mais pas fascinant non plus.

Deuxième chance : page 114. Si cette fameuse première phrase nous laissait espérer beaucoup qu'en est-il du personnage sur le point de devenir Scaramouche ? C'est le coeur du roman puisque le héros s'y cache au sein d'une troupe de théatre derrière le masque d'un comédien de pantomime. Pas de fulgurance de style, la continuité de l'action, fluide, un peu trop fluide, mais toujours une certaine légèreté, légèreté qui dans un autre contexte narratif passerait vite pour de l'économie de style.

Le verdict est clair : bon roman d'aventures dont le principal défaut est de ne pas répondre aux attentes suscitées au niveau du style par sa première phrase.

Manhattan Transfer

Un livre pas évident en celà qu'il suit plusieurs personnages sur une vingtaine d'années sans vraiment raconter une histoire. En plus je me souviens que la traduction était parfois très faible au point que je reconnaissais de temps à autre des expressions idiomatiques traduites mot-à-mot ("let's sleep on it" traduit par dormir dessus !).

Malgré tout j'ai beaucoup aimé ce livre dont le style limpide s'approche de la description cinématographique. D'ailleurs ce style et les sujets choisis font penser à ce que sera le cinéma néo-réaliste vingt ans plus tard.
La première page propose ainsi quelques images fortes pour nous présenter New-York du point de vue d'un gars qui arrive de la campagne pour y chercher du travail.
La page 69 est fidèle au style du bouquin, elle propose deux scènes très fortes dans leur justesse, leur capacité d'offrir l'essentiel au lecteur d'un point de vue visuel et émotionnel. Et ce, encore une fois, malgré la traduction faible (estampillée Gallimard 1928) de mon vieux Livre de Poche.
Pour le plaisir je replonge jusqu'à la page 114. On est plus loin dans l'évolution des personnages, la fluidité est toujours au rendez-vous et on sent l'intérêt dramatique se renouveler à chaque changement de scène.

Au final on achète le livre les yeux fermés sauf si on préfère fermer les yeux sur les livres qui ne racontent pas une histoire isolée, parce que c'est fatiguant pour la tête.


mercredi 13 juin 2007

The Da Vinci Code: page 1 fodder

Le best-seller que tout le monde, même ceux qui ne lisent jamais, s'est trouvé obligé de lire ou d'acheter parce que tout le monde en parlait. Pas moi. Pourtant au début du buzz j'avais demandé à un pote (assez peu fiable question goûts littéraires) de me prêter le bouquin quand il l'aurait fini.
Et puis j'ai lu la première page à la Fnac. Le Louvre la nuit avec le meurtre mystérieux du conservateur Jacques Saunière qui se profile. Style minable, mise en scène ridicule de nullité. La seule fois où je me suis de nouveau intéressé à l'affaire c'est quand on m'a offert le Code Da Vinci : l'enquête écrit par des journalistes pour explorer les sources d'inspiration du livre. Voilà qui aide à comprendre l'engouement pour la conspiration suprême décryptée sans rire tout en évitant de subir les presque 500 pages de constipation de l'auteur.

Est-ce que la page 69 vient modifier mes préjugés :? Dans l'édition poche US (cette fois on ne pourra pas dire que c'est la traduction qui était faible) il s'agit de la deuxième page du chapitre 13. L'auteur mèle des dialogues sans profondeur (Robert Langdon est vraiment tourneboulé, le pauvre, face à Sophie Neveu qui-sait-tout) avec une narration lourde de poncifs. Encore une fois style minable d'un auteur qui ne sait pas écrire ou, au choix, qui pourrait écrire dans la collection Harlequin.

Bref pas la peine de pousser jusqu'à la page 114. Le Da Vinci Code est nul dès la première page.

Préjugés 69-114 - avant-propos

Avant quand je feuilletais un bouquin pour savoir si j'aurais envie de le lire je lisais simplement la ou les premières pages. Mauvaise idée parce qu'un écrivain a pû s'appliquer particulièrement sur l'incipit, le premier chapitre, puis ne plus rien avoir à raconter et s'essouffler très vite. C'est un cas très courant : on ne peut pas vraiment distinguer les premières pages du roman lui-même de sa couverture, du blabla de l'éditeur en quatrième de couverture (parfois agrémenté de louanges en kit). Tout ça fait partie de l'emballage avec le marketing qui vise à imposer les volumes dans les rayonnages des libraires.

Il n'empêche qu'en feuilletant un livre et en lisant la première page, la page 69 et la page 114 on peut se faire une bonne idée de ce qu'il vaut. En ce qui me concerne voici les critères de choix de mes lectures :

    l'histoire doit m'intriguer, me paraître une bon prétexte à l'écriture d'un roman
    le style doit être clair et pas monotone à défaut d'être puissant

L'histoire peut être éventuellement un mauvais ou un bon prétexte mais le style, lui, ne pardonne pas.

McLuhan's page 69 test

C'est une chronique d'Ed Beam pour le Boston Globe qui m'a appris l'existence de ce test.

Earlier this year, in a book called "How to Read a Novel," British writer John Sutherland resuscitated Marshall McLuhan's famous "page 69 rule." Inundated by an ever-increasing flood of books, and lacking time to evaluate them, the late Canadian savant proposed turning to page 69.

If the prose allured, buy the book. If not, don't.

Let's see how well this works.

C'est le célèbre Herbert Marshall McLuhan, figure essentielle de l'analyse de nos sociétés sur-médiatisées, qui a imaginé et vérifié ce test. C'est simple : pour savoir si un livre mérite d'être lu, l'ouvrir directement à la page 69 et si cet extrait nous intéresse alors c'est que le livre mérite d'être lu par rapport à ce niveau d'attente. Sinon on a gagné du temps et de l'argent.

Ironie du sort : Herbert Marshall McLuhan est mort à 69 ans. Et ce n'est pas que j'espère vivre jusqu'à 114 ans : j'ai eu connaissance de l'âge du capitaine bien après avoir choisi le chiffre 114, symbolique à plus d'un titre mais jamais du côté sexuel (je cherche encore) puisqu'il s'agit par exemple d'un article du code de la consommation relatif au "contrat ayant pour objet la vente d'un bien meuble ou la fourniture d'une prestation de services à un consommateur."
Pile poil ce qui nous intéresse ici : avoir une règle pour ne pas se laisser abuser par le marketing de l'achat impulsif.


Donc voyons comment cette règle fonctionne sur des livres que j'ai déjà lus, ou que j'aurais eu envie de lire pour une raison ou pour une autre (parce que j'en ai entendu parler, parce qu'ils me sont tombés sous la main, parce que la couverture... mais surtout pas la quatrième de couverture, sacrilège :!). Je pourrai aussi voir si cette règle me conforte dans mes préjugés concernant les livres (ou plutôt les auteurs) que je me refuse à lire et vérifier que la première page peut être trompeuse.